Photo story [2023-2024] / 2. La Constellation des Bellis.
Puisque tout avait déjà été fait, Isha décida de tenter l’impossible pour sauver sa terre. « Il faut que je retrouve la Constellation des Bellis » décida-t-il. Il hocha la tête trois fois d’un air entendu et sans attendre une seconde de plus, courut chercher dans la maison son sac à dos, sa gourde en métal qu’il remplit d’eau fraiche, la fin de la miche de pain de la semaine, un saucisson entamé, une pomme… Son couteau était déjà dans sa poche. En sortant à la hâte, il attrapa machinalement sa casquette qui pendait sur le porte-manteau du hall d’entrée et oublia son portable sur le guéridon… comme à l’accoutumée. Il n’avait jamais pu se faire à ces modes de communication modernes, toujours le nez dans sa terre le jour, toujours la tête dans les étoiles la nuit, il n’était ni doué pour les mots, ni pour les technologies. De toute façon, il n’en avait pas besoin. Il était déjà relié au Grand Tout comme il l’appelait.
Il se mit en chemin vers la forêt. Il lui fallait grimper jusqu’au sommet du Mont Médé avant la nuit. Lui préférait l’appeler le Mont de la Constellation depuis que, petit, il était tombé par hasard sur les vestiges d’une maison en ruine dont seule la porte en bois se dressait encore. C’était un soir de pleine lune. Il avait désobéit lors de sa balade quotidienne, et n’était pas rentré à l’heure prévue, intrigué par un oiseau au chant inhabituel. Il avait suivi le volatile entre les arbres centenaires qui touchaient presque le ciel, grimpé et trébuché sans s’en rendre compte sur un sol de plus en plus rocailleux et pentu, le nez en l’air, l’oreille dressée. Quand le chant de l’oiseau s’était arrêté, il s’était aperçu, mais trop tard, que la nuit s’était installée et avait pris ses aises entre les branches. Seul un puissant rayon lunaire faisait étinceler quelque chose devant lui entre les fourrés. C’est alors qu’il la vit : une porte en bois massif de plus de trois mètres de haut et un mètre cinquante de large, sans poignée ni serrure. Il resta pantois de longues minutes devant elle. Juste à la regarder de bas en haut et de haut en bas, fasciné par tant de perfection. La planche était faite d’un seul tenant ce qui lui était apparu d’emblée étrange, mais le plus singulier résidait dans sa surface : elle est totalement constellée de Bellis Perennis. Une myriade de fleurs délicatement sculptées recouvrait chaque millimètre carré de la surface. Aucune once n’avait été oubliée, tant est si bien qu’aucun espace vide n’était perceptible. Serrés les uns contre les autres, les pétales semblaient réels, près à virevolter au moindre souffle du vent. L’oeuvre était si parfaite, qu’Isha ne pu s’empêcher d’effleurer doucement le bois du plat de la main. Une sensation poussiéreuse lui chatouilla la paume. Par reflexe, il y jeta un oeil d’abord distrait puis insistant : sa main était totalement recouverte d’une poussière fine et jaune… semblable à du pollen. S’attendant à voir de la crasse noire, Ysha en fut surpris mais n’osa pas la retirer. Un pressentiment lui disait de la conserver tel un cadeau précieux… Il continua alors son inspection se rappelant le scintillement qu’il avait vu quelques instants plus tôt aux abords des fourrés. Il contourna la porte et scruta les amoncellements de pierres qui l’encadraient, vestiges de murs d’enceinte sans doute. Rien ne semblait ressembler à un quelconque objet métallique ou en verre. C’était à n’y rien comprendre ! D’où était donc venu cet éclair lumineux ?
Cette nuit-là il rentra en cavalant jusqu’à chez lui pour raconter son incroyable découverte. Personne ne le crut et son savon fut mémorable. Les jours suivants, il tenta plusieurs fois, à des heures différentes de la journée, de retourner sur les lieux mais ne retrouva jamais la porte. Il fut bien entendu d’abord exaspéré et en colère contre lui de ne pas se souvenir du chemin. Puis il entreprit pendant plusieurs semaines de quadriller le mont en tout sens. Avec méthode, il emprunta tous les chemins, traversa tous les buissons, écarta toutes les branches… Rien. Le jour de ses quinze ans, après 3 années de recherche, il décida que cela suffisait et il abandonna son histoire dans le puits sans fond des rêves d’enfants.
Seule, la paume de sa main droite conserva une tenace couleur jaunâtre…
Crédit Photo : Sonia Miladinovic – 21-07-2023