Photo story [2023-2024] / 4.Jolan.
C’était une fin de journée hivernale. La ville était grise de pluie. Les lumières étaient floues. On aurait dit que la lune pleurait rageusement.
« -Soledad, pitié, mouche-toi. »
Fatiguée, au fond du canapé en velours vert décrépi, Soledad attendait que la poussière la recouvre, l’ensevelisse, la fasse disparaître. Si seulement le temps pouvait s’écouler plus vite… Est-ce que la pluie battante ressemblerait à un mur opaque qu’on ne pourrait franchir sans avoir le corps transpercé par une multitude d’aiguilles ?
« – J’ai plus de mouchoirs. »
« – Sérieusement ? Pfff ! Bon… je vais aller en chercher, de toute façon on n’a plus rien dans le frigo. » Jolan enfila sa parka, attrapa par réflexe les clés sur le guéridon du vestibule et oublia sa casquette accrochée au porte-manteau près de la porte d’entrée. Ce n’est qu’arrivé au milieu de l’escalier de l’immeuble qu’il s’en rendit compte et fit demi-tour, remontant les marches deux à deux avec ses longues jambes. Au bout d’une dizaine de marches, la lumière s’éteignit et son corps, conditionné par des années de pratique, continua instinctivement sa progression dans le noir.
Lorsqu’il pensa être arrivé à son étage, il chercha à tâtons l’interrupteur sur le mur et ne le trouva pas. Exaspéré, il porta la main à la poche arrière de son jean pour attraper son portable… qu’il avait également oublié sur le guéridon. « Fait chier ». Il reprit son ascension, la main droite aplat sur le mur pour garantir son équilibre tout à coup mal assuré et finit par apercevoir la lucarne, la seule est unique lucarne de la cage d’escalier, celle qui transperçait le toit.
Il était monté trop haut et avait manqué son étage.
Jolan soupira un grand coup, expulsa sa colère en tapant de toutes ses forces la paume de sa main droite sur le mur. A cet endroit, sur une petite surface d’environ vingt centimètres de large sur trente centimètres de haut, le carrelage mural était tombé depuis longtemps et personne n’avait jugé bon de le restaurer. Par un étrange hasard, sa main y était précisément atterrie.
Jolan jura à nouveau. « Pauv’ crétin !!! » Penché en avant, les dents serrées, le pouce et l’index de la main gauche sur ses paupières fermées, la main droite pendante, il se concentrait sur la douleur lancinante que lui avait provoqué cet acte d’une profonde vacuité intellectuelle.
Après quelques minutes de méditation forcée, il observa machinalement sa paume endolorie à la lueur lunaire que laissait passer la lucarne. La pluie faisait une pause dans son acharnement à détruire toute joie de vivre de l’humanité et le rayon lumineux semblait jaillir d’une ampoule électrique. Jolan s’aperçut avec étonnement que sa peau était recouverte d’une poussière jaune. Il inspecta avec plus d’attention le mur de la cage d’escalier et découvrit l’espace rectangulaire nu de carrelage. Dans ce trou, ce qui avait sans doute était une fresque murale apparaissait distinctement entre les carreaux blancs. Ecarquillant les yeux de stupeur, Jolan crut voir une myriade de pâquerettes blanches aux pistils jaunes, blotties les unes contre les autres, tant est si bien qu’aucun espace vide n’était visible. L’effet trompe-l’œil de la peinture était d’une perfection remarquable. « On dirait que les pâquerettes sont réelles… » marmonna Jolan.
Ebloui par sa découverte, il ne se rendit pas compte qu’il retenait sa respiration depuis plusieurs secondes, de peur que son souffle ne fasse s’envoler les pétales délicats…
Crédit photo : Virginie Haquette