Photo Story [2023-2024] / 6.L’équilibre.
« Mon grand-père a disparu l’année de ses soixante-neuf ans. Un soir de pleine lune, il est sorti de chez lui avec son sac à dos et n’est jamais revenu. On l’a cherché partout pendant des jours avec les chiens des gendarmes, on a quadrillé le mont Médé. Rien. Pas une trace. »
Jolan avait les yeux brillants. Soledad ne l’avait jamais vu aussi exalté. Tout en lui brûlait. Il lui répétait en boucle. « Il faut aller au Mont Médé. » Elle ne comprenait pas. La trouille commença à lui retourner les viscères. Tout cela ne ressemblait qu’à de la folie douce. Quand il s’était précipité à la gare tgv pour s’engouffrer dans le premier train vers le sud, elle n’avait pas pipé mot et s’était contentée de ne plus le quitter des yeux. Elle avait choisi de se retrancher dans un silence songeur, économisant ses forces pour l’instant où il lui faudrait sauver son Jolan d’une issue qu’elle savait funèbre.
Après trois bonnes heures de route, enfin arrivés au pied du mont Médé, Jolan fit piler la voiture de location. Fatigue et énervement avaient réduit ses réflexes à peau de chagrin. Il avait tout lâché, volant, pédales, sans précautions, désormais obsédé par sa quête.
La lune brillait au zénith de la nuit. Les chemins de la forêt pouvaient se lire comme un livre ouvert et Jolan ne perdit pas une seconde pour s’y plonger. Soledad inspira aussi profondément qu’elle le put et marmonnant une rapide prière entre ses lèvres. Il n’y avait plus que Dieu et elle pour empêcher Jolan de commettre le pire. Elle eut beaucoup de peine à le suivre entre les branches, l’enfant du pays était retourné chez lui, il volait comme un oiseau vers le ciel.
Au bout d’une heure, elle n’y tint plus : « qu’est ce que tu cherches ? » lui cria-t-elle. Il n’avait pas ralenti, elle était à bout de souffle. Les étoiles brillaient de plus en plus fort. Plus ils s’enfonçaient dans la nuit, plus elle avait l’impression de se rapprocher d’elles. Elles étaient des milliards au dessus d’eux, des milliards de constellations. Elle n’avait pas le souvenir d’en avoir déjà autant vu ! Jolan s’arrêta net. « ça ».
Soleda se précipita pour enfin voir l’objet de sa quête. Jolan s’était accroupi, les yeux rivés sur le sol. Elle s’approcha près de lui et regarda dans la même direction. Ce qu’elle vit dépassait tout entendement : la trace d’une paume de main dessinée à même la terre, jaune comme le pistil d’une fleur.
« -Mais comment c’est possible un truc pareil ! » s’exclama-t-elle.
« -C’est là que mon grand-père est mort », lui répondit calmement Jolan. Il avait retrouvé sa sérénité habituelle. Soledad tressaillit. C’était le moment qu’elle redoutait depuis leur départ. Celui où elle devrait intervenir, faire quelque chose pour empêcher le pire. Mais quoi ?! On y était et elle ne savait fichtrement pas ce qui était en train de se passer et encore moins quoi faire !
Jolan se releva et l’attira vers lui doucement. Il plongea ses yeux dans les siens.
– » Je sais ce que je dois faire, mais je ne sais pas exactement ce qu’il va se passer.
-Comment ça ? Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » Soledad paniqua, elle s’agrippa à Jolan toujours impassible et lui cria dessus : « Qu’est-ce que tu vas faire ? Dis moi ! Dis-le moi ! »
Jolan la repoussa brusquement, s’agenouilla de nouveau et superposa la paume de sa main droite sur celle qui ornait le sol au pied d’un cèdre majestueux. C’est à instant précis que le ciel se déchira. Des milliards et des milliards d’étoiles se mirent à tourbillonner en circonvolutions et révolutions surnaturelles. Jolan et Soledad pétrifiés, observaient cet inouï spectacle gratuit. L’animation ne dura qu’une poignée de secondes, puis les étoiles chutèrent. Ou plutôt elles retombèrent. On avait secoué la boule à neige de l’univers et des confettis de pluie virevoltaient maintenant vers le sol. Les gouttes ne tombaient pas alignées en rang serré. Elles avaient choisi de prendre leur temps et de s’offrir une flânerie touristique avant leur destination finale, la Terre. C’était complètement hallucinant et magique. Les feuillages sombres environnant scintillaient désormais sous la lune, à leurs pieds, l’humus lustré par cet onguent naturel, embaumait un parfum puissant, celui d’un microcosme endormi depuis des décennies. La Terre se réveillait, telle une princesse embrassée par un charmant sauveur.
Le pluie tomba jusqu’au lever du soleil, avec tendresse et délicatesse. Des milliers de caresses assouplirent la peau rugueuse et craquelée de la Terre meurtrie. Toute le journée le soleil brilla et la nuit suivante la pluie revint consoler la Terre de l’avoir si longtemps abandonnée. Durant trente jours et trente nuits, la Terre fut réchauffée par le soleil et cajolée par la pluie. L’un après l’autre, ils veillèrent sur elle, la nourrirent, lui offrir tout ce dont elle avait tant manqué.
Petit à petit, le champ du grand-père de Jolan retrouva des couleurs. Les cicatrices qui le parcouraient depuis plusieurs décennies sans que personne ne puisse rien y faire, s’estompèrent pour finalement disparaître complètement.
C’est ainsi que l’équilibre est revenu sur le Terre de la Constellation des Bellis.
Un commentaire
Ghislaine D
Quelle imagination ! Tu nous emmènes dans un univers fantastique avec ces textes pleins de poésie avec un vocabulaire inspirant, parfois détonnant!
Une histoire remplie de bienveillance et d’optimisme qui fait du bien .