Montgomery et compagnie.

Cette nouvelle est inspirée par 4 oeuvres réalisées par mon papa, Guy Degryck. Vous pouvez retrouver et découvrir l’ensemble de son travail sur son site ici.

Chapitre 1

Montgomery n’en avait rien à faire. Tout cela était devenu ridicule. Il n’épouserait pas cette femme. Sa mère pouvait bien en faire une syncope, il ne capitulerait pas. Son nom de baptême d’une absurdité honteuse était déjà bien assez lourd à porter, il était hors de question de persister dans cet aura grotesque de bienséance. Non. Il s’opposera à cette alliance majestueuse uniquement destinée à apporter l’or au blason familial. Bientôt cinquante ans que la matriarche s’accrochait bec et ongles à une soi-disant descendance aristocratique dont aucune légitimité n’avait jamais été avérée. Mais elle n’en avait cure : “C’est dans le sang que l’on sent ces choses-là”. Et il n’y avait aucun doute, selon elle, que chacune des gouttes qui coulait dans ses veines le faisait avec toute l’élégance, la fierté et la noblesse de son rang !

“- Mère, cette femme est folle, elle me fait peur !

– Montgomery, cessez vos jérémiades, vous êtes ridicule !

– Je vous assure, elle a quelque chose de… de diabolique ! L’autre jour j’ai vu dans sa bibliothèque une encyclopédie “des poisons les plus discrets et mortels” ! C’est édifiant, vous ne pouvez pas le nier !

– Je dirais simplement qu’une femme avertie en vaut deux, voilà tout. Madame de La Vergnière est une personne brillante qui sait… disons, anticiper la moindre déconvenue. Ne vous en faites pas Montgomery, j’ai la certitude que vous serez davantage bénéficiaire que victime de ses nombreux… talents. 

– Mère, cette conversation stérile me déplaît et m’occit.

– Allons, Montgomery. Suffit !”

Une fois encore Mère avait le dessus. En un mot, elle recouvrait d’un glacis cinglant ma dignité d’homme, sur laquelle ma honte glissait irrémédiablement et, chaque fois, un peu plus bas. 

Je ramassais ma salive et les miettes de courage qui me restaient pour tenter une dernière estocade :

-”Mère, sachez qu’à partir de demain, je ne serai plus votre chien.” Et pour éviter le retour de bâton, je pris la poudre d’escampette, un peu rouge, un peu tremblant, pas encore tout à fait certain de l’issue de la situation. 

Bien entendu, Mère avait esquissé un sourire ou plutôt, l’un de ces pincements de lèvres qui en font l’office. A ces yeux, je n’avais jamais été rien d’autre qu’un petit garçon fragile et transparent à tantôt tirer derrière elle, tantôt pousser vers le haut. En effet, mon goût pour la délicatesse, la lecture et la botanique aurait été supportable à ses yeux s’il n’avait été couplé par un désintérêt pour la politique et les activités physiques de tout ordre. Inadmissible selon les critères testostéroniens de la matriarche. Je me gaussais sous cape à l’idée qu’elle découvre un jour la réalité toute nue dans laquelle je me muais. Ma meilleure amie s’appelait Sybille et c’est auprès d’elle que j’en avais appris le plus sur les meilleurs moyens de plaire… aux garçons. C’était aussi grâce à elle que j’avais rencontré Emilio, le seul être sur terre qui vaille la peine que je tienne tête à Mère.

Chapitre 2

Bruges par Guy Degryck
Bruges par Guy Degryck

Aujourd’hui est un grand jour. J’ai décidé de faire ce que j’ai dit. Pour une fois, je ne ferai pas “ma mijaurée” aurait dit Mère. Je me surprends à être étonnamment calme. J’imagine que c’est ce que l’on ressent quand on sait qu’on a pris la bonne décision. Il est plus que temps que je m’affranchisse de Mère et de ma condition. Il est plus que temps que je dessine ma propre vie, mon propre univers avec mes règles… et mes libertés. 

J’arrive chez Emilio qui m’accueille tout sourire, les bras grands ouverts : 

-”Bienvenue dans l’antre du démon !”

“Très drôle…”. J’esquisse un pâle sourire. Il a raison, c’est exactement ce que penserait Mère. J’ai presque l’envie de faire demi-tour. Et si je faisais une erreur ? 

Non, ça y est, je recommence. Il ne faut pas que je fasse preuve de lâcheté. C’est maintenant que je dois tenir bon. 

Je jette mon sac au sol, j’ai très peu d’affaires. J’ai décidé de tout recommencer et tout obtenir par moi-même. 

“-Tu as ce que je t’ai demandé ?, m’enquis-je auprès d’Emilio. 

-”Oui tout est là”. 

Je suis tellement content que mon appréhension s’est déjà envolée. Je déballe le paquet avec nervosité. Emilio a suivi à la lettre mes consignes. Je referme la boîte et la range pour plus tard… J’inspire profondément. Je sais que je prends un gros risque. Je sais que je vais peut-être bientôt mourir de faim mais c’est toujours mieux que d’être prisonnier d’une femme qui ne vous veut pas de bien ou d’une femme qui vous voudra du mal.

Avec Emilio, nous avons une passion commune pour la photographie et c’est avec bonheur que je m’enfonce dans la nuit brugeoise avec lui et mon Mamiya. Nous longeons les canaux, tentons de capter de délicats reflets sur l’eau, de subtils clairs-obscurs aux pieds des lanternes publiques ou dans les recoins des portes. Parfois, je me poste dans l’angle sombre d’une ruelle et je guette. Je me fais oublier, je laisse les éléments m’entourer et m’englober dans leur univers et quand je suis dissous dans le décor, quand plus aucune partie de moi ne dépasse, parfois, la magie opère. Un couple passe, s’enlace. Un chat s’attarde. Un pressé se presse. Un inquiet glisse et se redresse avant la chute.

Le doigt sur le déclencheur de mon Mamiya je deviens alors le dérobeur de Bruges…

Ce soir est l’un de ces soirs magiques où tout se déroule à la perfection. Je suis aux anges, je n’arrête pas d’aller embrasser Emilio qui commence à être gêné. C’est le seul latin non démonstratif que je connaisse et il a fallu que cela soit celui-là qui me plaise ! Malgré tout, il a tout ce dont j’ai toujours rêvé. Muscle, intelligence, humour, une once d’insolence qui me rend fou et… Diantre ! Mais que fait-elle là !

Elle est là devant moi, elle me toise. Comment a-t-elle su, comment m’a-t-elle trouvé si vite ?! Elle rit. Elle se moque littéralement de moi ! Même pas un “bonjour”, un mot d’explication. Elle se contente de me fixer et de rire, sans aucune discrétion, en secouant ses épaules à chaque éclat. Les mains dans les poches de son Burberry, elle jubile bruyamment. Entre effroi et colère, mon corps tout entier se contracte. Son rire est ignoble ! Elle ressemble à une psychopathe qui savoure sa victoire. Je me sens comme la victime avant son disséquage. Mon rythme cardiaque s’accélère, un sifflement raisonne dans mon oreille droite…

Chapitre 3

Beuvron-en-Auge par Guy Degryck

-“Mon petit Montgomery vous êtes tellement mignon quand vous êtes contrarié ! On dirait un petit animal, vous savez l’un de ces petits rongeurs… une belette ! Oui voilà, une belette effarouchée ! J’adore les belettes, vous le saviez ? Cet animal a la particularité de n’avoir presque jamais vécu à l’état sauvage, il a toujours été domestiqué.” 

Sidonie de La Vergnière était une femme assurément exceptionnellement brillante, mais, le talent dans lequel elle excellait le plus était la méchanceté. Montgomery avait un don pour sonder les âmes et identifier les coeurs les plus purs. Trois minutes avaient suffi, lors de leur première rencontre, au brunch des Dupire. Trois petites minutes de rien du tout pour identifier le Mal. La plupart des personnes sont méchantes parce qu’elles ont souffert ou qu’elles sont égoïstes. Sidonie de La Vergnière n’avait aucune de ces excuses pour justifier son comportement. Montgomery avait tout d’abord été intrigué et fasciné par cette personnalité atypique et avait quelque peu investigué à son encontre. Le résultat de ses recherches était plutôt glaçant : cette femme était folle. Il y a toute sorte de folies. La folie douce, la folie amoureuse, la folie des grandeurs, la folie vengeresse, la folie meurtrière. Sidonie de La Vergnière n’avait aucune raison d’être folle. Aucune raison valable. 

Elle était née à Beuvron-en-Auge, l’un des plus beaux village de France, dans une famille d’antiquaires, amoureux d’Histoire mais sans histoire. Certes, ses origines aristocratiques avaient laissé quelques stigmates mais rien de choquant, juste du savoir-vivre. Tout aurait pu continuer ainsi, elle aurait pu reprendre la boutique familiale et mener une existence paisible au sein de la communauté Beuvronnaise. C’est d’ailleurs ce qu’elle fit, du moins en apparence… 

Le week-end, quand elle ne pratiquait pas l’équitation avec June, un Pure Race Espagnole, elle engageait des paris sur les courses à l’hippodrome de Clairefontaine de Deauville, où un espace VIP l’attendait à l’année. Certains soirs de semaine, elle organisait dans le cadre du Rotary Club de la région, et dont elle était Présidente, diverses activités caritatives. Le reste de son temps, elle le passait entre sa boutique et de nombreuses salles de vente internationales aux quatre coins du monde. Bien que succédant à ses parents, elle était parvenue à se faire sa propre place dans le métier où le nom “de La Vergnière” était devenu grâce à elle, au fil du temps, gage de sérieux, honnêteté et professionnalisme.

Cette vie parfaite était toutefois endeuillée par la disparition soudaine et brutale de deux riches époux. Une chute de cheval avait eu raison du premier, une crise cardiaque s’était chargée du deuxième. A moins qu’il ne s’agisse de l’inverse ? Montgomery n’était plus très sûr… Ce qu’il savait avec certitude, c’est que Sidonie était une femme froide et obsessionnellement méthodique. Son bureau était parfaitement organisé et décoré avec goût et éclectisme, reflet parfait de la large palette de son érudition dans bien des domaines. Tout quidam en visite aurait pu être époustouflé par tant d’éclat si ses passions n’avaient été autant portées sur… la mort et les tortures à travers les âges. 

Il y avait trop d’indices concomitants pour nier le caractère suspect des morts de ses maris. Pourtant la police n’avait jamais inquiété Sidonie. Ses alibis étaient toujours remarquables, son comportement irréprochable. Aucun secret, aucune vie souterraine illicite, relation honteuse, habitude louche à déterrer. Certes son goût pour la mort était étrange mais elle n’en faisait jamais état sur la place publique et aucun lien n’avait pu être établi entre sa collection d’objets de torture et les deux décès.

Sidonie de La Vergnière était aussi froide et impénétrable que le marbre d’une pierre tombale.

Chapitre 4

Les Baux-de-Provence par Guy Degryck

Face à Sidonie, je redeviens petit garçon. Je déglutis avec peine et tente de reprendre une contenance :

“-Sidonie ! Quel bonheur de vous voir ici ! Mais que faites-vous donc là ? Vos affaires sans doute ?

– Arrêtez votre petite comédie Montgomery, votre mère n’est pas là, nous sommes entre nous. Cessons ce petit jeu ! Nous savons, vous et moi, que vous ne me portez pas dans votre coeur. Nous savons que vous ne voulez pas m’épouser. Je suis venu ici parce que je savais vous y trouver. Je veux que vous sachiez que je sais tout de vous et qu’il est absolument hors de question que votre… train de vie continue lorsque nous serons mariés. J’ai une excellente réputation que je tiens à conserver. 

– Et bien…

– Je n’ai pas fini.”

Déjà abattu, je me tasse encore. 

-”Dans mon métier, on me surnomme La Déesse. Savez-vous pourquoi ?”

Dans un réflexe pavlovien, je m’apprête à ouvrir la bouche, mais sa question n’attendait bien entendu pas de réponse et la voilà qui enchaîne.

“- Ce surnom est en quelque sorte une contraction du proverbe “Ce que femme veut, Dieu le veut” qui, comme vous le savez signifie plus simplement qu’une femme parvient toujours à obtenir ce qu’elle veut. J’obtiens toujours ce que je veux, Montgomery. Toujours. Ne cherchez pas à vous soustraire à mes désirs. 

– Je ne cherche pas, Sidonie, je ne cherche pas. Mais oui, je reconnais que j’avais beaucoup de réticences envers cette noce. Je nous trouve peu de points communs et puisque vous le savez donc, mon coeur est pris. Toutefois, j’ai toujours eu conscience de mes limites, j’ai beaucoup d’admiration pour vous et malgré tous ses défauts, je déteste faire de la peine à Mère.

– Vous êtes en train de me faire croire que vous déposez les armes avant même d’avoir commencé à vous battre ? Mais comment ai-je pu douter de votre lâcheté ! 

– Vous pouvez appeler cela comme vous voulez. Pour moi ce n’est pas de la lâcheté, c’est juste du bon sens. Sachez tout de même que c’est pour moi un grand sacrifice, certes un mariage n’a jamais tué personne, mais c’est un peu de moi que je tue en me donnant à vous. 

Sidonie éclate de rire à nouveau. 

-”Mon petit Montgomery vous me plaisez de plus en plus ! Je suis ravie de cette petite discussion. Je m’en vais le coeur empli de joie. 

– J’en suis heureux. Mais avant de vous laisser partir, puisque vous êtes là, puis-je vous mettre au courant d’un cadeau de mariage que je souhaite vous faire ?

– Un cadeau de mariage ? Comment cela ? 

– Et bien, c’est une surprise, aussi je ne peux vous en dire davantage aujourd’hui, mais j’aimerais beaucoup vous emmener aux Baux-de-Provence le week-end qui précède nos noces. Je sais l’affection toute particulière que vous avez pour ce village lié à vos ancêtres et je souhaite, par ce présent, vous exprimer mon engagement.

– Je suis quelque peu étonnée mais pourquoi pas… Très bien j’y consens.”

Quelques semaines plus tard, je boucle mes bagages et quitte Emilio le coeur gros. Je suis en larmes en bas de son immeuble. Je n’ai pas voulu qu’il m’accompagne jusqu’à la gare. Je sais que j’ai pris la bonne décision mais je manque de force pour ne pas craquer. J’ai honte de moi, j’aimerais tant savoir refouler ces larmes. Je ne suis plus qu’une flaque.

Lorsque j’arrive à l’hôtel que j’ai réservé pour nous aux Baux-de-Provence, Sidonie est déjà là. Je la sens sur la défensive, froide et hautaine comme jamais. 

Pour tenter d’atteindre son coeur de granit, je me fais miel et velours, je l’enveloppe de compliments, je ne suis plus qu’un gentil petit garçon obéissant. Je suis tellement abject que j’en attrappe la nausée avant la fin du dîner. Au moment du dessert, je suis à bout de force et c’est un filet de voix qui sort de ma bouche :

“- Sidonie, j’aimerais vous offrir ce soir cette surprise dont je vous ai parlé à Bruges, mais pour cela il faut que vous me suiviez sans poser de questions.

-Très bien. Soit.”

Je passe rapidement à notre chambre pour y prendre un sac que j’ai préparé plus tôt et nous nous mettons en route à pied. La nuit tombe doucement. La saison touristique est terminée, il est agréable de pouvoir déambuler, seuls. Nous arrivons au cimetière du village. Conformément à ma demande, le gardien arrive pour nous ouvrir et refermer la grille derrière nous. Nous pénétrons dans la pénombre et avançons jusqu’à un petit caveau. Je m’arrête, pose mon sac et en sort une bouteille de champagne et deux flûtes. Tout en l’ouvrant et en remplissant les coupes, je dévoile enfin à Sidonie ma surprise.

“- Ma chère Sidonie, je serai direct. Je connais votre amour pour ce village et pour la mort. Aussi, il m’est apparu l’idée d’un cadeau unique, à votre image, un cadeau original et éternel, comme je l’espère notre union. Ce caveau, ici présent, sera le vôtre. Je suis parvenu, par relation, à obtenir cette concession. C’était la dernière disponible et les critères sont nombreux pour avoir le droit de gésir dans ce cimetière. Il m’a fallu faire des pieds et des mains pour que le maire accepte de vous la céder… enfin de nous la céder ma chère !”

Les yeux de Sidonie se sont arrondis en deux billes parfaites, des boulards pour être exact.  Elle semble… touchée. Je suis content de mon petit effet. Nous trinquons les yeux dans les yeux sans un mot. Un ange passe. Il fait maintenant complètement noir et je sors un petit photophore que j’allume pour l’occasion. Tout est calme. Une chouette hulule au loin. Je suis presque bien. J’ai repris un peu de vigueur. Finalement tout s’est passé à merveille. Sidonie se décide à parler. 

“-Montgomery… Je suis décidément très heureuse de vous avoir choisi.”

Sa voix est presque douce. Dans le noir, nous nous devinons à peine. Nous sommes assis sur la marche du caveau. 

“-J’ai la clé du caveau. Souhaitez-vous voir l’intérieur ?

-Oui, pourquoi pas !”

Je m’exécute et ouvre la porte qui, à ma grande satisfaction, ne grince pas. J’ai bien fait de suivre les conseils d’Emilio et de graisser un peu les gonds… 

Sidonie s’avance, progressant sous la lumière du photophore que je tiens dans mes mains. Elle n’a pas le temps de voir le trou qu’elle y tombe déjà et succombe malgré elle à de violentes convulsions. Je m’empresse de reculer et de refermer la porte. D’ici quelques minutes elle devrait perdre connaissance. C’est l’avantage du cyanure, on meurt très rapidement.

FIN

Ca vous a plu ? Dites-le moi dans un commentaire !

Vous avez adoré ? Partagez lamerelouve.fr sur les réseaux sociaux !

5 commentaires

Follow by Email